Mur des fusillés

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Extrait de « Histoire de la Milice » de Michel GERMAIN

Cour Martiale à Thonon

Récit des évènements qui sont à l’origine du Mur des Fusillés du Savoie Léman

Vendredi 25 février, à Allinges, François Mouchet rencontre devant l’église, alors qu’il sort de la messe matinale, Jean Fillon. Celui-ci lui demande de descendre à la Grange Allard pour faire une déposition. On constate au passage que cette ferme est devenue un véritable commissariat de police, où l’on convoque les gens pour des dépositions. Le brave homme, qui n’a rien à se reprocher, se rend au dit hameau. Là, Pierre Fillon l’arrête et l’enferme dans la cave. Le détenu est ensuite transféré au Savoie Léman pour complément d’information. Détenu dans les geôles françaises, il fera partie du convoi de la mort du 2 juillet 1944 et sera interné à Dachau. François sera ensuite envoyé au camps de Neckargerach, où se trouve l’administration centrale du camp de Guttenbach. Malade, marqué « Nacht und Nebel » (Nuit et Brouillard), il sera transféré à Wengen. Il s’en sortira et sera rapatrié en France en 1945.

Dans la matinée, le colonel Lelong arrive à Thonon pour mettre en place, sur ordre de Joseph Darnand, la cour martiale qui doit siéger dans cette ville. Il déjeune à midi au mess des officiers, installé dans l’hôtel. Marie-Edmond est de corvée. Il fait le service à table ce jour-là. Après le repas, alors qu’il débarrasse les tables, le milicien Fernand B…, qui le connait bien vient lui demander où il peut trouver du tabac. On mesure là toute l’ambiguïté des rapports entre résistants et miliciens, tous issus du même village ou de la même campagne. Riton, Jean-Pierre de Paris et autres fascistes notoires opérant dans la capitale chablaisienne s’acharnent sur les prisonniers. Ils continuent de frapper violemment Ange, dans la même position depuis quarante-huit-heures. Hier soir, il s’est écroulé. Ils l’ont relevé « à coups de pieds et à coups de crosse. Son sang éclaboussait le mur de la cave et formait une auréole au-dessus de sa tête. Les prisonniers étaient là, témoins de l’horrible scène, impuissants, la rage au cœur… », a écrit Armand Antonietti.

Dans la journée, Marius Bouvet, André Grépillat et René Trolliet ont été transférés d’Annecy pour comparaître devant cette cour martiale. Ils ont été enfermés dans les caves avec d’autres patriotes. Armand écrira encore dans le bulletin Trait d’Union : « La souffrance déforme à tel point le visage de ces malheureux que nous avons de la peine à les reconnaître. A L’insu des gardiens, nous leur faisons passer des cigarettes et nous allongeons Marius sur un banc. Ses plaies le font souffrir à tel point qu’il n’a pas la force de boire un verre de vin que nous lui tendons… » Les séances de tortures-interrogatoires commencent le soir vers 22 heures : « De temps en temps, le sinistre Riton, inspecteur surnommé « La Panthère », vient, nerf de bœuf en main, chercher un patriote et l’emmener à la torture. Après quelques heures, on ramène à la geôle un être aux yeux hagards, au visage tuméfié, qui, sans un mot, s’effondre dans un coin de la cave ».

Marius Bouvet, 41 ans, de Margencel, arrêté par la Milice le 9 février en même temps que son commis André Grépillat, 18 ans, de Maxilly, René Tolliet, 23 ans d’Allinges, arrêté par la Milice le 8 février à Margencel, Jean Genoud, 21 ans, de Douvaine, et Jean Marie Tallieu, un Parisien de dix-neuf ans, tous deux arrêtés au camp de Verdisse au-dessus de Bonne, Ange Angelli, 21 ans, blessé aux combats de Foges et Corse, Robert Blancet et Marius Marquis, comparaissent devant la cour martiale. A 1 heure du matin, tout est réglé. Après avoir été torturés pendant plusieurs jours, les miliciens les condamnent à mort. Seuls Robert Blanchet et Marius Marquis évitent le peloton d’exécution. Marie-Edmond Boujard, toujours au fond de la cave, se souvient : « Les condamnés n’ont pas été redescendus à la cave. Quand Marius est redescendu, il nous a dit, avec son accent marseillais : Tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir ! » Robert sera déporté, tout comme Marius, qui mourra dans le convoi de la mort, le 2 juillet 1944.

Samedi 26 février, dans la cour de l’école hôtelière, au petit jour, six hommes pour qui la liberté compte plus que leur vie, tombent sous les balles des miliciens, Français comme eux. Pas d’Allemands par ici ! C’est cela la guerre civile. Antonietti, toujours détenu au Savoie Léman, se souvient : « … Dans le matin, des officiers allemands arrivent à l’école, afin de vérifier le bon travail de leurs amis français. Ils visitent les réfectoires transformés en cellules, où nous sommes plus de soixante, couchés à même le sol. Nous devons nous tenir au garde-à-vous. On nous distribue des coups. Tout ça, c’est à fusiller ? demande un officier allemand à un milicien. Tous les jours, de nouveaux prisonniers arrivent. Ils occupent les places laissées vides par les camarades fusillés ou emmenés à Annecy. Cette journée du 26 reste pour moi l’un des souvenirs les plus pénibles puisqu’elle marque le début de mon interrogatoire. » Vers midi, un communiqué officiel de Vichy confirme ces exécutions : « En Haute Savoie, les forces de Maintien de l’Ordre, malgré les intempéries, continuent avec vigueur les opérations de nettoyage du maquis. De nombreux individus, affilié à différents groupes de terroristes, se rendent et abandonnent armes, matériels et documents… A la suite d’arrestations, la Cour martiale française, siégeant à Thonon, a eu à se prononcer sur les cas de huit terroristes. Six d’entre eux, membres de l’organisation terroriste des F.T.P., convaincus d’avoir commis des assassinats dans le but de favoriser des activités terroristes, ont été condamnés à la peine de mort et immédiatement passés par les armes… »

Viennent ensuite les noms des six suppliciés, dont nous savons, nous qu’il s’agit de patriotes qui ont fait don de leur vie à la France. La presse collaborationniste titre « Répression du banditisme et du terrorisme : six dangereux bandits sont condamnés à mort par la Cour Martiale de Thonon. Ils ont été exécutés quelques instants plus tard. »

Les actes d’état civil dressés pour les six victimes de la collaboration vichyssoise sont intéressants à plus d’un titre. Prenons celui de Marius Bouvet, par exemple : il est déclaré « décédé boulevard de la Corniche » et non fusillé. On apprend que l’acte a été dressé le 10 mars, soit deux semaines plus tard, sur la déclaration du « franc-garde Jacques Duflot, 37 ans, par le maire Germain Trolliet, commandeur de la Légion d’honneur et titulaire de la Croix de guerre. »

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